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Petites lettres dorées
14 mai 2015

Chapitre 2

Les jours passèrent et ne se ressemblèrent guère. De nouveaux livres. De nouvelles lectures analytiques pour mes chers élèves de premières. Les collègues étaient d’une gentillesse avec moi ! Et Emeline restait immanquablement dans son mutisme absolu. Plusieurs fois j’avais essayé de lui extirper quelques mots mais que des banalités « La journée s’annonce longue ! », « Il fait beau pour une fois, ça change ». Mais rien de plus. J’avais l’impression que je lui arraché des dents. Alors je laissais tomber, souvent parce qu’un collègue venait me poser une question.

Mais je m’étais mis martel en tête. Je m’obstinai à lui parler. Peut-être qu’un jour on sympathisera ! Même si je n’y crois pas vraiment. Je pense que peu de personne arrive à la supporter.

En très peu de temps j’avais sympathisé avec tous les collègues. Tous sauf elle. Mes rêveries continuaient à filer. Son air autoritaire n’avait rien de plaisant et on ne pouvait pas dire qu’elle était belle. Elle doit avoir une dizaine d’années de plus que moi, les cheveux blonds qui lui arrivaient à l’épaule, une voix relativement rauque. Comme beaucoup de prof elle portait des lunettes, un cliché j’ai envie de dire. Il n’y avait que ses yeux qui étaient attrayants. Et cette même expression. On se sent mal  l’aise, on a envie de baisser la tête ou de s’enfuir en courant. C’est comme si elle allait vous engueuler pour telle ou telle raison ou bien qu’elle allait vous tuer. Psychopathe ? Elle a tué tous ses amants et elle cherche sa prochaine proie ! Je divague.

Entre midi, je mangeais à la cantine pour changer. D’habitude j’allais dehors avec d’autres profs. Je pris mon plateau, pas grand-chose d’appétissant. Déjà qu’à la base je ne mange rien, je suis végétarienne. Je ne pris qu’un bol de salade de pâtes au thon (ce qui est normalement l’entrée), une pomme et du pain. Je me dirigeai vers le coin réservé aux professeurs et bien évidemment il n’y avait plus de place. J’allais pester quand je découvris une place. O miracle ! J’approchai et vis qu’Emeline était installée en face.

« Je peux m’assoir ici ? demandai-je prudemment

_ Oui bien sûr » répondit-elle avec un micro sourire.

Deuxième miracle ! Elle a souri. Bon je vous l’accorde son sourire était imperceptible. Mais quand bien même ça reste un effort.

J’entrepris de manger cette salade qui n’était absolument pas mangeable. Après trois bouchées, je mis le bol de côté et mangeai le pain. C’est une valeur sûre. Parfois je levais les yeux vers Emeline et je remarquai qu’elle me regardait manger. Elle pourrait quand même me regarder à un autre moment ! Je suis pas très sexy quand je mange surtout qu’il y a une chance sur deux pour que j’aie quelque chose coincé entre les dents. Pendant quelques secondes, je plongeai mon regard dans le sien. Plus rien ne nous entourait, juste nous deux et ses yeux verts. Ces secondes me parurent une éternité. Puis Emeline coupa court à ce regard intense.

« Tu ne manges rien d’autre ?! m’interrogea Emeline surprise.

_ Non j’ai pas très faim.

_ C’est pas sérieux tout ça ! Tu risques de faire un malaise.

J’y crois pas elle s’inquiète pour moi. Non Sam ! Elle cherche juste à être polie !

_ Je sais, je sais… Mais je mange jamais énormément le midi, je me rattrape le soir !

_ Déjà que t’es pas très grosse ! Tu risques de t’envoler, me lança-t-elle en riant.

Oh mon dieu ! Elle est belle quand elle rit. Elle devrait rire plus souvent et pas faire sa tête de tueuse en série.

_ C’est pas faux, m’exclamai-je en riant aussi.

_ Ca te dit un café ?

_ Oui pourquoi pas »

Nous rejoignions la salle des profs et elle mit des pièces dans la machine à café. Je notai qu’elle prit un double expresso sans sucre et elle mémorisa que pour moi c’était un déca. Je la suppliai de lui rembourser mais elle refusait catégoriquement. Nous nous installions à l’écart des collègues, là où elle est tous les matins. Nous discutions de tout et de rien. J’essayais de voir si elle était du même bord que moi mais aucun détail ne me permettait de le savoir. Je supposais donc qu’elle était mère de famille, mariée. La discussion devenait plus intime mais toujours aucune précision si elle était mariée. Alors j’osai poser l’ultime question.

« T’es mariée ?

_ Non absolument pas ! Et toi ?

_ Encore trop jeune et je n’ai pas encore trouvé la bonne personne.

_ Homme ou femme ?

_ Pardon ? dis-je toute gênée

_ La bonne personne, ce serait un homme ou une femme ?

Et moi qui croyais que j’étais indiscrète ! Elle est pire que moi !

_ Je préfère la gente féminine.

_ Ah enfin une lesbienne ! Je commençais à croire que j’étais la seule ici.

Je crus tomber des nues. Elle, cette antipathique, est lesbienne ?! Mais pourtant je suis relativement douée pour repérer si une fille l’est ou non. Mon radar serait-il en panne ?

_ Tu l’es aussi ?!

_ Oui oui.

_ Mon radar n’a pas voulu se mettre en route cette fois !

_ Je sais et c’est d’ailleurs mon grand malheur. Personne ne remarque que je le suis. C’est désespérant. Moi j’arrive à savoir si une femme l’est mais je suis obligée de lui dire que je suis homosexuelle sinon elle ne s’en rend pas compte.

_ C’est pas cool tout ça. »

La sonnerie retentit. Nous nous quittions pour retrouver chacune notre classe. J’arrive pas à y croire. Emeline est lesbienne. Trop d’informations se bousculent dans ma tête. Pourquoi a-t-elle cet air sévère et reste-t-elle en retrait? Alors qu’elle est magnifique quand elle sourit et rit et qu’elle est très gentille. Comment j’ai fait pour passer à côté de ça. Toute l’après-midi, mes pensées ne s’intéressaient qu’à Emeline. Heureusement j’arrivais faire plus ou moins normalement cours.

A la fin de la journée, je finissais de corriger quelques copies. Je vis entrer Emeline dans la salle des profs et s’installer dans son coin. Elle n’avait plus son joli sourire qu’elle avait à midi. Emeline l’autoritaire était revenue. Elle ne jeta pas même un regard autour d’elle. Une fois ma derrière copie corrigée, j’entrepris d’aller briser sa solitude. Mais Allan chamboula mon plan. Nous discutâmes un peu et il me proposa d’aller boire un verre avec lui. J’acceptai. Je mis mon manteau, l’hiver commençait déjà à s’installer. Je jetai un regard vers Emeline. Elle me lança un regard très sombre. Je voulais lui sourire mais je n’arrivai plus. Je me sentis tout à coup toute triste. Je passai la soirée avec Allan. 

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