Arrivée à l’aéroport, je rejoins ma directrice pour enregistrer nos bagages. Même dans une tenue plutôt décontractée, elle reste canon. Et c’est parti pour treize heures d’avion à côté d’elle. Tout va bien, on est en classe business, je peux légèrement m’étaler. Une fois l’avion dans les airs, je sors mon ordinateur histoire de bosser un peu (et de faire genre que je suis sérieuse). Mais c’est sans compter ma… confidente, ou plutôt meilleure amie, ou… Bon d’accord ma sexfriend mais c’est quand même une amie qui s’est amusée à écrire au rouge à lèvre sur l’écran. Laurence et moi penchons en même temps la tête pour lire.
« Coucou ma chérie, tu me manques déjà ! Appelle-moi quand tu peux. Gros bisous » avec un cœur à la fin.
Alors là, je vous dis pas la honte que c’est surtout quand on a sa directrice à côté de soi qui a un petit sourire aux lèvres. Je me dépêche de sortir un mouchoir et de nettoyer l’écran.
« C’est bien ce que je me disais », dit-elle.
Je me tourne illico vers elle et lui fais les gros yeux pour dire « j’ai pas bien saisi ». Elle me gratifie d’un grand sourire où je peux voir toutes ses dents bien alignées et blanches.
« Pardon ? je demande.
_ Je me disais bien que vous étiez lesbienne, Leroy.
Elle le dit avec un tel naturel que j’en suis stupéfaite. Invente un mensonge et vite !
_ Euh… Non c’est pas vrai… C’est euh… Juste ma sœur qui m’a écrit ça.
_ Trop tard Leroy vous êtes grillée ! Vous avez pris trop de temps et trop hésité pour trouver votre mensonge », m’affirme-t-elle en riant.
C’est la première fois que je la vois rire. Alors je me mets moi aussi à rire. Elle est encore plus belle lorsqu’elle sourie. Pourquoi ne le fait-elle pas plus souvent ? Dommage qu’elle soit hétéro ! Aaarrgghh mais faut que j’arrête moi avec mes fantasmes, je vais finir par lui sauter dessus si j’arrive pas me contrôler. Quoique ce serait assez tentant… Le reste du voyage se passe sans encombre même si ma main a frôlé la sienne et que j’ai cru que j’allais m’évanouir. D’une parce que sa peau est juste terriblement douce et de deux parce que je me suis dis qu’elle allait me tuer. Mais rien, elle m’a juste souri. Je travaille sur la présentation de la conférence et je remarque qu’elle m’épie. C’est bon je vais pas non plus dire des âneries ! Faut qu’elle lâche un peu le boulot ! En fait je me rends compte qu’elle me regarde moi ! Je tourne légèrement la tête vers elle et ses joues s’empourpre. J’ai un petit sourire au coin.
Le vol enfin terminé, nous allons chercher nos valises. Et encore une fois elle éclate de rire en voyant ma valise. Bon d’accord, j’ai quelques autocollants dessus. Enfin beaucoup même énormément ! Comme pour me justifier, je lui sors :
« Au moins je le retrouve facilement !
_ J’espère bien sinon c’est qu’il vous faudrait des lunettes », se moque-t-elle.
Pff ! Je l’aime vraiment pas cette femme. Nous sortons de l’aéroport et à ma grande surprise, il fait chaud ! Comme en parfaite gentlewoman, je hèle un taxi et presque immédiatement, il y en a un qui s’arrête, ce qui me vaut la tête surprise de Laurence.
Une fois à l’hôtel, nous demandons nos chambres réservées par l’intérimaire. Je laisse parler ma directrice.
« Voici la clef de votre chambre, bon séjour mesdames, dit poliment le réceptionniste.
Après quelques microsecondes, je demande :
_ Excusez-moi mais il nous manque une clef.
_ Euh… Non nous n’avons qu’une chambre au nom de Leroy Mercier.
_ Mais c’est quoi ce foutoir encore ! S’énerve ma directrice. Je pose ma main sur son épaule et lui indique que je me charge de tout. Elle semble très fatiguée et donc elle s’agace beaucoup plus vite qu’à l’accoutumé.
_ Je suis désolée madame, dit le réceptionniste bien qu’il ne le pense absolument pas.
_ Y a-t-il une chambre de libre alors ? je demande le plus calmement possible.
_ Non tout est pris. »
Après une heure de débat, nous décidons de garder notre chambre. Je lui propose de prendre le grand lit et moi le clic-clac super inconfortable dans le salon. Sans aucune hésitation, elle accepte. Même pas un merci ou un « mais non on peut très bien dormir ensemble ». Quoique je risquerais de ne pas dormir avec elle à côté de moi et mes fantasmes. De plus elle ne se gêne pas pour prendre la grande armoire donc moi je n’ai que la petite commode. Ah et autre problème de taille majeure ! La salle de bain se trouve dans sa partie. Non non tout va bien, je n’ai pas la poisse ! Donc tous les matins, je vais devoir la croiser, d’autant plus que je me lève tôt moi ! De toute manière je vais devoir me la coltiner pendant plus d’une semaine. Je toque à la porte coulissante séparant nos parties.
« Oui ?, demande-t-elle.
_ Je peux emprunter la salle de bain ?
_ Bien sûr que vous pouvez ! Ca vous fera du bien ! » dit-elle avec un clin d’œil.
Que veut-elle insinuer ? Que je pu ? J’ai quand même l’intelligence de prendre quelques affaires. Une fois dans la salle de bain, je lâche un « waouh » tellement elle est grande. Il y a une baignoire et une douche. Les deux sont suffisamment grandes pour deux personnes. Hum ça pourrait être une bonne idée ! Okay je me tais ! Je prends un bain et découvre la fonction jacuzzi. Je me détends un peu après ces treize heures d’avion. Je me décide finalement de sortir de l’eau et j’enfile mon débardeur rouge et mon jean noir, ce qui me fait penser soit en très bonne littéraire que je suis Le Rouge et le noir de Stendhal ou bien à la chanson « En rouge et noir ! »Il va falloir maintenant que je me charge de mes cheveux… Je sais qu’ils plaisent à beaucoup mais ils sont tellement pénibles à coiffer. Ils sont noirs, très ondulés. Bon j’ai trop la flemme, je les laisse se sécher naturellement.
Je ressors tranquillement de la salle de bain et je suis estomaquée par le corps allongé sur le lit. Son tee-shirt remonte légèrement me laissant apercevoir son ventre plat. Je déglutis difficilement et ne remarque pas qu’elle a tourné la tête vers moi.
« Il y a un problème Leroy ? demande-t-elle sèchement.
_ Euh… Non, non… Je euh… » je bafouille.
Je sors sans finir ma phrase. Je regarde par la baie vitrée. On a une superbe vue. Ca me fait bizarre parce qu’ici à Montréal on est le soir alors qu’à Paris c’est le matin. J’entends l’eau qui coule dans la salle de bain. Je ne peux pas m’empêcher de l’imaginer nue, l’eau ruisselant sur sa douce peau. Par un mouvement de tête j’efface cette pensée. Il faut vraiment que j’arrête de penser comme ça de ma directrice. Mais j’ai un peu de mal à me dire qu’elle est inaccessible. En même temps elle est juste hétéro et il suffit de voir l’effet qu’elle fait au travail pour savoir que tous les hommes du monde se retournent quand elle marche dans la rue. Alors c’est sûr qu’elle ne voudrait pas d’une fille comme moi. Je suis surprise par sa voix chaude.
« La vue est magique. Regardez le coucher de soleil !
_ Oui il est sublime et il se cache derrière les arbres. »
Je me retourne et je la regarde, elle aussi est sublime. Je m’écarte de la baie vitrée et cherche mon portable dans mon sac. Juste un message de ma sexfriend, Julia, pour me demander comment je suis arrivée. Je lui réponds vite fait que tout va bien. Je sais qu’elle veut des ragots croustillants mais pour l’instant il n’y a rien.
« On se promène ? je demande soudain.
_ Oui je veux bien ! »
Nous descendons et je découvre qu’il y a une salle de sport, ce que je ne manque pas de remarquer à haute voix. Je vois qu’elle a un sourire au coin. Nous nous promenons dans les rues de Montréal. D’un coup, mon ventre fait signe qu’il lui faut de quoi se nourrir.
« Ah je crois que vous avez faim Leroy ! S’exclame Laurence en riant.
_ Je crois aussi ! Ca vous dit un chinois ?
_ Oui pourquoi pas ! »
Nous entrons dans un restaurant chinois pas très loin de l’hôtel. J’avais l’impression d’avoir un rendez-vous amoureux. Sauf que ce n’en ai pas un. J’ouvre à peine le menu et le referme tout de suite après. C’est bon je sais ce que je prends. Par contre Laurence hésite. Elle fronce les sourcils, ne sachant pas quoi choisir. Même comme ça j’adore sa petite bouille.
« Sasha !! Crie une voix qui m’est familière.
Je me retourne et je vois mon ex, Miranda. Eh merde ! Juste quand je suis avec la boss. Je me lève et lui fais la bise. Ah ! J’avais oublié à quel point elle était tactile. Elle m’enlace chaleureusement.
_ Ca fait super longtemps !! Alors la Canadienne, on décide de retrouver son pays natal ?! Poursuit-elle.
Mais ferme-la ! Personne ne sait que je suis Canadienne. En fait personne ne sait beaucoup de choses à propos de moi. Et bien évidemment Miranda est obligée de le hurler comme ça Laurence le sait. Je jette un coup d’œil suppliant vers elle espérant qu’elle me sorte de là. Mais non ! Elle ne bouge pas d’un poil. Je suis sûre qu’elle est en train de rire intérieurement. Finalement elle se racle la gorge et Miranda tourne la tête vers elle. Dieu merci !
_ Oh quelle malpolie je fais ! Miranda enchantée !
_ Laurence.
Elles se serrent la main et Laurence garde son air froid. Le glaçon est de retour.
_ Je ne savais pas que tu avais trouvé quelqu’un, dit Miranda, se tournant vers moi, je ne sais pas quoi répondre. Bon je vous laisse en amoureuse ! Vous avez de la chance d’avoir Sasha, c’est une vraie perle rare ! Faut pas la lâcher, s’adresse-t-elle à Laurence.
Evidemment il ne manquait plus que ça ! Miranda croit qu’on est en couple.
_ En plus vous formez un très joli couple ! Bon Sasha faudra qu’on se voie pendant ton séjour. Aller ciao ciao mes chéries ! » dit-elle en s’éloignant ne me laissant pas répondre.
Je m’assieds et n’ose pas croiser le regard de Laurence. Je pourrais très bien faire croire à Miranda que je n’ai pas reçue ses textos et tout. Comme ça je ne serais pas forcée de faire croire à un couple.
« Alors mon ange tu as choisi ?
Je lève incrédule la tête. J’y crois pas ! J’ai bien entendu ce que j’ai entendu ?! Je crois que mes yeux viennent de sortir de leurs orbites.
« Vous devriez voir votre tête, Leroy ! » Elle a un fou rire immense !
« Vous avez choisi ? demande le serveur.
_ Alors en entrée, des raviolis vapeur et en plat un canard laqué s’il vous plaît, répond Laurence.
_ Et pour moi ce sera la même chose en entrée et en plat un bœuf à l’ananas. »
Après deux heures, de rires et de vols de nourriture, nous décidons de partir. Laurence me boude parce que j’ai insisté pour que ce soit moi qui paie et que je suis arrivée à mes fins.
Nous sortons tranquillement du restaurant. Je pensais m’être débarrassée de Miranda mais évidemment elle nous court après.
« Hey ! Les girls !! Attendez-moi ! hurle Miranda.
Nous nous arrêtons et nous regardons d’un air amusées.
_ Je sais que t’es pas très tactile Sasha mais quand même ! Fais un effort pour ta chérie ! continue - t- elle.
Je regarde Laurence, redoutant ce moment et lui prends la main. On ne fait vraiment pas naturel. Je suis prise d’un léger frisson par la douceur de sa peau.
_ Mouais bon… On va dire que c’est un début. Sinon vous faîtes quoi ce soir ?
_ Pas grand-chose, on pensait retourner à l’hôtel, n’est-ce pas ? je me retourne vers Laurence.
_ Oui effectivement mon cœur, me répond Laurence.
_ Oh c’est trop chou !! rajoute Miranda. Ca vous dit qu’on aille dans un bar ?! Le Spirit a changé de proprio, il est encore mieux qu’avant. On y allait souvent avec Sasha.
_ Peut-être une prochaine fois Miranda, on vient d’arriver et personnellement je suis crevée. Je ne sais pas pour toi… Chérie ?!
Je ne vais jamais m’habituer à ça.
_ Moi aussi mais on pourra y aller une prochaine fois ! Ce soir on va profiter de notre première soirée en amoureuse à Montréal !
_ Ooww ! Je comprends ! Bon je t’appelle Sasha ! Kiss »
Nous marchons main dans la main avant de tourner et de s’assurer qu’il n’y a plus Miranda dans les parages. J’enlève ma main de la sienne à contre cœur. Une fois arrivée dans la chambre, je m’allonge sur l’inconfortable clic-clac. Il faudra qu’on se perfectionne dans notre rôle de faux couple parce que là… C’était horrible ! Bon au moins pendant le dîner, je n’ai eu cette fameuse question que je redoute tant « Tu es Canadienne ? ».
« Sasha ? demande Laurence à travers sa partie.
_ Oui ? je me tiens près de la porte.
_ Venez, asseyez-vous. J’avais une question…
Ah bah finalement je vais avoir cette question… Et merde !
_ Vous êtes Canadienne ? demande ma boss.
_ Euh… Oui, j’ai passé toute mon enfance à Montréal, pas très loin d’ici.
_ Je ne savais pas ! Si vous voulez vous pouvez aller voir vos parents.
_ Je n’ai pas de parents…
Je vois son regard interrogateur. Il faut que je me jette à l’eau. Je me lève et regarde par la baie vitrée.
_ Mes parents sont morts quand j’étais encore bébé, je reprends. Donc j’ai passé mon enfance dans un orphelinat.
_ Mais vous n’aviez pas de famille d’accueil ?!
_ Si… Quand j’avais cinq ans, une famille m’a adoptée mais je me suis enfouie à l’âge de neuf ans… Et vers dix ans, une famille française m’a recueillie et c’est pour ça que je suis partie en France.
_ Je peux savoir pourquoi vous vous êtes enfouie ? Enfin si ce n’est pas indiscret.
_ Le père et la mère était alcoolique et… J’étais la seule enfant.
J’entends Laurence se lever et s’approche de moi.
_ Ils me frappaient et… Le père… Me violait… Donc vers neuf ans je suis partie et j’ai vécu dans la rue.
_ Oh mon dieu ! Je suis désolée Sasha. Elle pose sa main sur mon épaule. Vous n’avez pas eu une enfance facile…
_ Pas vraiment. Mais heureusement j’ai une famille, si on peut dire. Jusqu’à mes 18 ans j’étais à Paris puis j’ai fait mes études à Montréal. C’est comme ça que j’ai rencontré Miranda et ensuite je suis revenue près de ma famille.
_ Vous êtes restée ensemble longtemps avec Miranda ?
_ 3 ans.
_ Ah oui quand même !! Bon va falloir qu’on se perfectionne en faux couple.
Je lâche un léger rire.
_ Déjà si on se tutoyer ? propose Laurence.
_ Bonne idée. »
Au final nous parlons pendant quelques heures jusqu’à ce que la fatigue me rattrape. J’ai hésité à m’endormir sur son lit mais je préfère ne pas trop exagérer. Déjà qu’on s’est beaucoup rapprochée ce soir. Une fois sur le clic-clac, je commence à rêver de Laurence. Elle est si belle et finalement je ne vais pas beaucoup devoir me forcer pour faire semblant d’être amoureuse. J’ai plutôt peur pour elle. On avisera !